Prenons l’exemple des femmes, P MELOTTE explique:
« La colère augmente la tendance à la confrontation, mais c’est une émotion que les femmes, contrairement aux hommes, ne sont pas encouragées à exprimer.»
Chaque jour, les femmes subissent des propos et des comportements sexistes. Harcèlement sexiste dans l’espace public, remarques sexistes au travail, invitations sexuelles non désirées… Aucun domaine n’est épargné, aucun lieu. Lancé en 2017 pour recueillir les témoignages d’étudiantes, doctorantes et jeunes chercheuses, le site « Paye ta fac » avait ainsi montré que le monde universitaire ne faisait pas exception.
Face à ces agressions, les femmes mettent en place des stratégies. Elles peuvent, par exemple, choisir de réagir à chaud et dire à leur interlocuteur que leurs propos ou comportements sont déplacés afin de s’opposer directement au sexisme.
Cependant, les études montrent que cette réaction n’est pas le recours le plus fréquent.
Nous allons essayer de comprendre pourquoi, en étudiant ce qui se passe entre le moment où un homme tient des propos sexistes envers une femme et celui où celle-ci réagit.
L’expérience
Pour cela, nous avons observé et analysé des interactions réelles entre une femme et un homme (notre complice). La tâche à réaliser pendant l’interaction était la suivante :
- sélectionner des candidats et candidates pour participer à une épreuve de survie sur une île déserte.
La participante et le complice étaient assis l’un en face de l’autre et disposaient de fiches reprenant les principales caractéristiques des personnes à sélectionner.
Durant l’interaction, tout en regardant ses fiches, le complice plaçait trois propos sexistes liés aux rôles traditionnels de genre. Le premier affirme que les femmes sont responsables de la sphère domestique alors que les deux suivants reflètent une vision des femmes comme objet sexuel.
Pendant l’interaction, les deux personnes étaient filmées par un dispositif de petites caméras situées sur la table.
À la fin de la conversation, la participante était emmenée dans un bureau à part pour répondre à un questionnaire. Dans le questionnaire, nous demandions aux participantes de se souvenir de trois moments de l’expérience et de répondre à des questions. Le questionnaire nous permettait de mesurer les émotions, la perception du sexisme et les raisons pour lesquelles chaque participante avait réagi de cette façon.
Finalement, la participante était remerciée pour sa participation et nous lui expliquions les véritables objectifs de l’étude ainsi que la complicité de l’autre participant.
Les réactions aux trois remarques sexistes ont été catégorisées à partir des vidéos en réaction de confrontation. Définie comme une expression verbale de mécontentement ou de désaccord avec la remarque sexiste, ou comme une réaction de non-confrontation. De plus, le logiciel FaceReader a analysé l’expression faciale permettant de mesurer l’intensité des émotions comme la peur ou la colère au cours du temps.
Sentiment de colère
Comment nos participantes ont-elles réagi ? La majorité des participantes ne se sont pas opposées aux propos sexistes. Mais derrière cette apparente indifférence se cachait une grande variété de réactions possibles pas toujours facilement classables entre opposition et non-opposition.
En effet, parmi les réactions que nous avons considérées comme des réactions d’opposition, beaucoup étaient indirectes. Seule une minorité a dénoncé frontalement le caractère sexiste du propos.
De plus, parmi les participantes qui ne se sont pas opposées verbalement aux propos sexistes, une majorité d’entre elles ont montré des signes de désaccord, d’hésitation ou de gêne. Par exemple, la participante fait non de la tête ou encore dit, d’un air convaincu : « oui, ça peut être intéressant ».
Cette interprétation est en accord avec plusieurs observations : tout d’abord, toutes les participantes ont détecté le caractère sexiste des propos de la même façon, quelle que soit l’expression de leur visage. Ensuite, elles ont rapporté un même sentiment subjectif de colère.
Enfin, elles ont accordé tout autant d’importance à leur image : qu’elles s’opposent ou pas au sexisme, les participantes voulaient tout autant montrer une image positive d’elles-mêmes, ne pas être perçues comme des râleuses et ne pas entrer en conflit avec leur interlocuteur.
Marianne Alex : « Avec « Paye ta fac », je voulais sensibiliser mes étudiantes au sexisme ordinaire » (France Culture).
Il existe cependant plusieurs différences entre les deux groupes de participantes. Premièrement, les femmes qui se sont opposées aux propos sexistes exprimaient, sur leur visage, un peu plus de colère. Ensuite, elles ont accordé plus d’importance aux bénéfices liés à la confrontation c’est-à-dire la volonté de faire passer un message, de faire comprendre que le propos est sexiste, de contribuer à améliorer la condition des femmes, de marquer son désaccord et de mettre un terme au comportement offensant.
Normes de genre
La colère est donc une émotion qui augmente la tendance à la confrontation.
Or, les femmes, contrairement aux hommes, ne sont pas encouragées à exprimer la colère et elles sont socialement réprimandées quand elles le font. Les normes émotionnelles genrées font donc obstacle à la réaction des femmes face au sexisme.
Tout comme la colère, les motivations citées ci-dessus sont également en opposition avec les normes de genre prescrites pour les femmes dans nos sociétés. En effet, on attend des femmes qu’elles soient passives, accommodantes, qu’elles considèrent les sentiments et besoins des autres en priorité par rapport aux leurs ; la non-confrontation est donc plus conforme aux rôles attribués aux femmes. La confrontation, quant à elle, peut susciter une perception des femmes comme étant difficiles, agressives et hypersensibles.
Que faire alors ?
Tout d’abord, organiser des formations apprenant aux femmes à poser leurs limites. L’idée est d’établir des techniques pour dire non. Des principes physiques d’abord : dire stop à quelqu’un qui s’approche trop près. Des principes verbaux ensuite, pour dire non sans argumenter. Cela oblige en outre à mener une réflexion sur la place des femmes dans la société, afin que chacune comprenne que certains comportements ne sont pas innés mais liés à des normes qu’il faut bousculer. Lorsqu’elles suivent ces formations, les femmes témoignent d’une augmentation de la confiance en soi.
Mais développer des outils pour permettre aux femmes de s’opposer aux propos sexistes ne doit pas faire oublier que les seuls responsables en cas de violence sexiste, ce sont les agresseurs. Et que ceux-ci sont principalement des hommes. La sensibilisation aux normes de genre, au sexisme et à l’égalité entre les femmes et les hommes devrait donc être un pilier de l’éducation tant des hommes que des femmes.
GESIVI SYSTEME, adopte ces principes dans ses formations tant envers les publics professionnels (composés à 75% de femmes) que les groupes (clubs, associations) qui nous sollicitent dans le cadre de stage de sensibilisation à la désescalade de la violence.
Texte inspiré de l’article de Patricia Melotte Docteure en psychologie Chercheuse, Centre de recherche en Psychologie sociale et interculturelle, Université Libre de Bruxelles Article « The conversation »