Un genou fermement appuyé sur le cou d’un homme à terre implorant et au bord de l’asphyxie. Les images de George Floyd, maintenu dans cette position par Derek Chauvin pendant 8 minutes et 46 secondes, ont choqué dans le monde entier.
« S’il vous plaît monsieur, s’il vous plaît, s’il vous plaît, s’il vous plaît je ne peux plus respirer»
Il l’aura répété à près de 15 reprises. Après, ses supplications ont cessé. Quelques instants plus tard, George Floyd était déclaré mort.
Cet usage de la force, utilisé par l’ex-policier de Minneapolis et fatal à l’Afro-Américain de 46 ans, interroge sur les techniques d’immobilisation au niveau du cou (neck restraints) par les forces de l’ordre aux Etats-Unis, mais aussi dans de nombreux autres pays dont la France.
L’affaire Adama Traoré, dont certains éléments feraient penser que le décès résulte du plaquage ventral exercé par les trois gendarmes. Le livreur, Cédric Chouviat, qui aurait subi une « fracture du larynx » après son interpellation. Serge Partouche, 48 ans, à Marseille en 2011, et Abdelhakim Ajimi, 22 ans, à Grasse en 2008 ont été sanctionnées de peines de prison avec sursis pour les policiers condamnés, qui avaient fait usage dans les deux cas d’une clé d’étranglement.
Un mode opératoire autorisé et encadré en France
Les statistiques officielles sont absentes, en France, cette technique est en effet autorisée, mais fait l’objet d’un strict encadrement par circulaire (2008 puis 2015) du ministère de l’Intérieur, précise LCI. « Lorsque l’immobilisation d’une personne est nécessaire, la compression –tout particulièrement lorsqu’elle s’exerce sur le thorax ou l’abdomen– doit être la plus momentanée possible et relâchée dès que la personne est entravée par les moyens réglementaires et adaptés », précise ainsi ce rapport de la Commission nationale de déontologie et de la sécurité, remis en 2008.
« C’est une technique enseignée en école de police et qui fait partie de la formation continue pour pouvoir maîtriser une personne, confirme à L’Express Pascal Jakowlew, secrétaire national Investigation et renseignement du syndicat Alternative Police-CFDT. Par contre, lorsque le plaquage au sol est fait, on ne doit pas se poser de tout son poids sur la partie haute du corps, car cela pourrait bloquer les poumons et provoquer l’asphyxie. »
« Cet usage de la force est très dangereux et n’est pas du tout proportionné quand c’est appliqué sur des personnes qui sont déjà arrêtées, généralement menottées et à terre », dénonce auprès de L’Express Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer « libertés » à Amnesty International France, qui demande l’interdiction de cette pratique.
En raison des risques que comporte cette technique, plusieurs pays y ont renoncé, comme la Suisse et la Belgique, précise l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) dans un rapport publié en 2016. Aux États-Unis, les polices de New York et de Los Angeles l’ont également abandonnée, notamment après la mort, lors d’une interpellation, d’Eric Garner, en 2014 à New York.
Des « donneurs de leçon » qui s’en mêlent.
Alors comment faire ? Les esprits s’échauffent, le débat est passionné et les experts et « donneurs de leçon » sont très forts pour critiquer derrière leur clavier en s’abreuvant de vidéos récupérées sur YOUTUBE et diffusées par des soit disant «experts »*.
Cet article se veut prudent, car l’auteur a été amené, et parfois contraint à maîtriser par la force les débordements d’un individu. Il en ressort :
- Que ce n’est jamais simple ;
- Que ce qu’on a appris en formation ne se déroule jamais lors de l’intervention ;
- On est très souvent surpris de constater que les techniques d’immobilisation apprises ne stoppent pas la violence parfois inouïe de la personne à contrôler.
L’instrumentalisation du sujet.
Il faut garder discernement et rester dans l’équilibre entre le côté « bisounours » de certains « bobos » qui pensent que par les mots tout peut se régler. Et ceux qui pensent que l’utilisation de la force résoudra toutes les situations.
La contention est parfois nécessaire, indispensable quand il faut stopper la dangerosité d’une personne qui porte atteinte contre les autres ou elle-même.
L’objet de notre groupe de recherche n’est pas de s’embourber dans ce genre de débat. La sanction et l’éloignement des fonctionnaires qui dérapent volontairement doit être sans appel. Elle permettra de faire reconnaître l’immense difficulté de la tâche du recours à la force dans sa juste proportion.
Une mission réalisée quotidiennement par la grande majorité des agents (policiers mais aussi secouristes, agents hospitaliers, personnels soignants) qui sont parfois contraints d’aller vers cet ultime recours qui doit relever de l’exception.
Comment agir ?
GESIVI se consacre à réfléchir pour aider et former les professionnels du médicosocial, de la santé et des services de secours. La contention est parfois utilisée.
Nos deux livres** traitent du problème.
Les mots ont leur importance. Nous appelons cette manœuvre : « maintien de sécurité ». Juridiquement, et déontologiquement, cela donne un sens bien différent.
Des principes plutôt que des techniques.
Il y en a ! Dérivées des sports de combats, adaptées aux gestes professionnels, elles ne sont plus adaptées et même deviennent dangereuses et mortelles dans certains cas.
Nos formateurs, ayant une forte expérience opérationnelle, optent pour recommander des principes plutôt que d’enseigner des techniques qui se trouvent bien souvent limités quand on est confrontés à la réalité (plus de détails sur notre formation)
Dans notre concept nous nous sommes appuyés sur notre expérience et par les rares études scientifiques sur le sujet dont celle menée par les académies de la police Québéquoise.
En voici les points fondamentaux :
- Eviter les étranglements directs : pas d’action sur le cou. Dans notre second livre, nous développons les 4 points sensibles et parfois mortels qui se situent au niveau du cou.
- Agir de manière coordonnée : le travail d’équipe est fondamental. Une action coordonnée, contribue à plus d’efficacité.
- Gérer le stress (ou le comportement inadapté des intervenants) : les regards extérieurs, les caméras, la difficulté à réussir le geste technique, le stress peut submerger les intervenants qui peuvent perdre leur self contrôle. Encore moins, nous ne sommes pas des juges !
- Les coups sont inutiles. Et choquent les témoins en excitant encore plus la personne à maitriser.
- Les clés sont douloureuses…en salle de sport : mais souvent inefficaces face à une personne en crise ou sous l’emprise de drogues.
- Utiliser le principe VRM : agir sur la Vision, la Respiration INDIRECTE (épuisement) et la Mobilité.
- Proscrire la compression thoracique : et toutes les techniques qui l’induisent comme le « portefeuille », le decubitus ventral, la pliure et le croisement des membres supérieurs.
- Surveiller le tableau de bord de la personne sous contrôle : l’expérience nous fait craindre la simulation pour nous amener à relâcher la pression. La mise en place du « contrat » est indispensable.
- Penser à débriefer à l’issue de l’intervention : ce type d’intervention est parfois source d’incompréhension au sein des équipes mêmes. Mais aussi pour les témoins et les familles présentes. Encore plus pour celui qui subit la contrainte. En milieu hospitalier par exemple, il faut mettre en place un protocole de remontée d’information sur le déroulé de l’action, un espace de parole à plusieurs niveaux.
Il est bon de souligner que ces facteurs de risques sont considérablement augmentés chez certains sujets : surcharge pondérale, pathologie mentale, démence…
En conclusion, le débat actuel, s’il dépasse la récupération idéologique ou politique, aura le mérite de briser un silence, un tabou qu’est la contention. Ce sujet est à associer à la contention en milieu hospitalier des personnes indigents, grabataires dépendantes qui sont trop souvent entravées dans leur chambre, sur leur lit par manque de moyen, de personnel ou tout simplement absence d’humanisme. Mais là c’est encore un vaste sujet…
Didier JAFFIOL co-fondateur de la méthode GESIVI®
*L’auteur de l’article, cofondateur de la méthode GESIVI, a travaillé durant 35 ans en tant que sapeur-pompier volontaire et comme fonctionnaire en service de nuit auprès des publics marginalisés (Ministère de la Justice).
** livres gesivi : « GESTION DES SITUATIONS DE VIOLENCE OU L’INTERVENANT EN BONNES POSTURES » et « SAPEURS-POMPIERS UN MÉTIER A RIXE ? »